
Talleyrand vs La Fayette
Deux modèles de décision pour un monde en changement.
2025-11-27
Face à un ordre mondial bouleversé par l’IA ou par la politique nationaliste des Etats-Unis, quelle attitude adopter ?
Faut-il s’adapter à chaque nouvelle en temps réel et ajuster son cap à chaque nouveau soubresaut ? Ou, au contraire, se fixer une direction ferme et s’y tenir avec discipline, quitte à se tromper de direction ?
La question se pose particulièrement pour un responsable politique.
Sur l’IA, faut-il annoncer dès aujourd’hui des interdictions strictes concernant l’automatisation de certains métiers, au risque de freiner l’innovation, ou, au contraire, attendre de mesurer l’impact réel sur l’emploi, au risque d’être accusé de passivité face aux perdants de la transition ? Et sur le terrain des populismes, faut-il tracer une ligne rouge absolue contre toute forme de coopération avec des partis extrêmes, ou au contraire adopter une stratégie pragmatique pour assurer une majorité parlementaire ?
L’adaptabilité peut passer pour un manque de vision ; mais décider trop tôt de lignes rouges peut devenir un handicap stratégique.
Notre époque a des airs de révolution silencieuse, aussi il est pertinent de mobiliser deux figures de 1789.
D’un côté, Talleyrand, l’homme qui a « surfé » sur six régimes successifs entre l’Ancien Régime et la Monarchie de Juillet, obtenant, sous chaque souverain, une position d’influence. Son talent était de survivre, de se rendre indispensable, de sentir avant les autres où se trouvait le vent dominant. De l’autre, La Fayette, le héros des deux Mondes, éternel défenseur des valeurs républicaines et des droits de l’Homme, incapable de renier ses principes quitte à devoir s’exiler, sous Napoléon puis sous la Restauration.
Tous deux ont réussi, à leur manière, à laisser une marque profonde sur l’Histoire. Talleyrand l’a fait en reniant ses anciens alliés et en pactisant avec ses ennemis d’hier, trahissant tantôt le clergé, tantôt un roi, tantôt un empereur. La Fayette l’a fait en gardant les yeux fixés sur une seule idée, les principes de 1789, quitte à en payer le prix.
La Fayette reste, aujourd’hui encore, la figure la plus populaire, presque mythifiée. Mais il ne faut pas oublier qu’il a eu la chance (qu’il est facile de qualifier de clairvoyance après les faits) de soutenir une idée gagnante à long terme. Ce n’était pas écrit. C’était un pari, et un pari risqué.
Quelle confiance pouvons-nous, aujourd’hui, accorder à un « fil rouge » quelconque ? Si la liberté fut l’idée gagnante du XIXe siècle, quel est le principe le plus susceptible de sortir victorieux du XXIe siècle ?
Une vision peut-elle encore survivre aux soubresauts d’un monde où les ruptures technologiques dépassent les rythmes politiques et où les certitudes se fissurent plus vite qu’elles ne se construisent ?
Talleyrand est-il l’exemple à suivre quand nul ne sait quelle idée triomphera demain ?