
Provence, année zéro
Du souvenir des collines à l’espoir du renouveau.
2025-11-28
Je revois souvent les collines de mon enfance. L’odeur du thym et des broussailles. Les cabanes de chasseur sur le chemin des Fourches. L’usine pétrochimique au bord de l’Etang, qu’on s’habituait à supprimer du paysage.
Je rêvais un jour d’aménager ce territoire. Dessiner ici une route, placer là un parc. Je voulais rendre les rue de Marseille plus sûres, augmenter la participation des jeunes dans les Assemblées, faire croire en l’Europe.
J’imaginais être différent des désintéressés, de celles et ceux qui ne voient pas plus loin que leurs aller-retours entre la maison et le boulot. Force est pourtant d’admettre que c’est mon propre chemin qui a fini par occuper mes pensées.
J’ai remplacé les collines par les gratte ciels, l’embouchure du Rhône par celle de la Hudson. Mes paysages sont devenus abstraits, genre peinture contemporaine. Je me suis pris d’intérêt pour les plus grands bouleversements, habitué à jouer un rôle mineur dans un pièce majeure, rassuré que la Provence, elle aussi, bénéficierait de la révolution digitale, des réseaux sociaux, et de l’IA.
Douze ans de gratte-ciels plus tard, je reste pourtant fixé sur ma Provence natale et ses chantiers encore ouverts.
Marseille est devenue une capitale culturelle et un lieu de refuge pour Parisiens en burnout, mais elle continue de peser trop peu dans l’économie nationale.
La drogue s’échange plus que jamais.
Nos campagnes se sont peuplées de bus touristiques et de maisons secondaires.
Partout, l’influence culturelle des Etats-Unis est écrasante, les arches dorées se sont multipliées.
Notre région mérite mieux.
En rêvant, j’imagine bien des choses.
Je vois des emplois propres dans l’agriculture biologique, l’agro-tourisme, la gestion forestière, l’industrie de pointe, le numérique. Les usines pétrochimiques abattues, les grandes zones commerciales abolies.
J’imagine un nouveau commerce de proximité alimenté par les belles exploitations de la région. Un port actif, accueillant les fruits de la mer, les denrées du monde entier et les touristes.
J’imagine une région réconciliée avec son immigration historique, des communautés intégrées, apaisées, fières de leurs origines et fières de vivre en France.
Je vois les jeunes de ce pays culturellement machiste, grandir sans crainte d’être mis de côté à cause de leur sexualité. Je les vois réussir aux études sans moquerie de la part de leurs camarades, ou s’engager dans des filières techniques avec fierté.
J’imagine les toits des usines et des entrepôts recouverts de panneaux solaires. Des bus et des trains fréquents et sûrs.
Et à l’arrivée à l’aéroport de Marseille, quelque chose de plus régional que les publicités pour Starbucks ou McDonald’s qui accueillent aujourd’hui les visiteurs.
La Provence n’a rien à envier à la Californie, elle devrait pouvoir la dépasser en tout point.
Le travail devrait y rapporter beaucoup plus que toutes les aides sociales même combinées.
Les travailleurs qualifiés devrait vouloir s’y installer pour innover sous le soleil.
Les impôts devraient financer les infrastructures publiques sans dissuader la prise de risque.
L’immigration devrait y être contrôlée par quotas.
Les Universités devraient s’allier aux grandes entreprises du pays et soutenir la Recherche.
Tout cela n’est peut-être qu’un rêve d’enfant parti trop vite, un rêve vieux comme les collines qui m’ont vu grandir.
Si j’ai projeté mes promesses sur un autre continent, c’était peut être pour tenir un jour celles que j’avais faites au mien.